La crise favorise les « nous l’avions bien dit » : le mondialisme, l’UE, le néolibéralisme, le progressisme, l’économie des flux et les délocalisations, le sanfrontiérisme, etc., tout cela ne nous protègeait pas. D’où trois mises en accusation récurrentes :
⁃ le capitalisme néolibéral a saigné le service public, accentué les inégalités sociales, il faut plus d’État Providence… propos plutôt de gauche ;
⁃ il faudrait revenir à la souveraineté, à l’État stratège, il faut la relocalisation, l’autonomie économique et stratégique, limiter le pouvoir de l’UE incapable… langage de droite populiste ;
⁃ le productivisme est la source de nos maux, l’absurde course au mouvement et à la consommation détruit l’environnement. La Nature nous envoie un avertissement. Argumentaire écologique.
Il est évident qu’il ne s’agit pas de trois thèses exclusives et que ces problématiques peuvent se combiner. Et se nourrir des critiques qui s’en prennent moins aux principes qu’aux défauts de gestion du gouvernement, à l’inefficacité bureaucratique de l’État français.
Les trois pôles, social, national et écologique vont polariser le débat des prochains mois. Et face à eux un discours ultralibéral, hypermondialiste ou superproductiviste aurait du mal à se faire entendre.
Ce qui ne signifie en aucune manière que l’affaire soit pliée. Pour de multiples raisons.
Notamment que d’autres questions comme la sécurité ou l’immigration, la géopolitique, ou encore la défense des libertés contre la surveillance numérique, thèmes pour le moment occultés, peuvent revenir au premier plan. Et parce que nous ignorons l’ampleur de l’addition économique et des désordres sociaux qui peuvent suivre. On voit s’opposer des réflexes de peur (parti de l’ordre) ou de colère (une révolte prenant le relais de celles des Gilets jaunes). Sans parler de l’hypothèse d’un retour de l’épidémie.
Bref les luttes idéologiques dépendront largement de la dégradation des conditions matérielles et de la virulence des conflits, y compris des désordres dans la rue ou un réveil activiste.
Mais, en restant sur le strict plan plan des idées, qui retirera les bénéfices de la crise, voilà qui est tout sauf clair.
Le discours populistes de gauche a, certes, des arguments en faveur de plus de protection et de redistribution. Mais il a un problème d’incarnation (Mélenchon n’étant pas gagnant à ce jeu), de divisions (notamment sur la question de la souveraineté ou de l’Europe) plus une rhétorique keynésienne égalitaire dirigiste qui ne se renouvelle guère. Ce camp est passablement divisé en dépit d’appels unanimes à inventer le monde d’après. Même mâtiné d’écologisme, le projet de fermer la parenthèse néolibérale peine à se développer.
À cet égard, la scission « de gauche » au sien de LREM est significative : il s’agit d’être « plus » : plus rassembleurs, plus sociaux, plus écolos, plus inventifs. Question de gradation sur une échelle idéologique immuable. Ce pourrait être un symptôme que le pouvoir s’éloigne de sa composante plus branchée, bobo, libertaire pour se droitiser et s’appuyer sur une bourgeoisie plus classique et souvent plus âgée.
Le discours souverainiste de droite trouve des motifs de célébrer les frontières, l’État stratège et de dénoncer le mondialisme quite à négliger provisoirement les thèmes identitaires. Mais il peut être concurrencé auprès des classes populaires par un souverainisme de gauche qui pointe l’oreille. Le RN souvent ramené au rôle d’épouvantail bloque la rage des couches périphériques peu diplômées ne profitant pas de la mondialisation : il remplit la fonction tribunicienne protestataire sans débouchés très clairs pour le moment.
Les idées écologistes triompheront-elles ? Et la peur du réchauffement climatique ou une quelconque collapsologie peut-elle engranger des dividendes de la peur sanitaire ? La réponse dépend du rapport entre peur de la fin du monde et peur de fin du mois.
Pour beaucoup la période du confinement a donné un avant-goût de la sobriété respectueuse de l’environnement que réclament les verts. Et il n’est pas si évident que gens menacés de chômage ou de faillite désirent autre chose que conserver un minimum de niveau de vie. La façon dont s’est exprimé le discours écologique pendant la crise (manifeste de Hulot, ou lutte des peoples contre le consumérisme) n’a guère fait avancer une cause qui reste attractive pour une opinion jeune, urbaine, diplômée, mobile, mais dont la traduction politique est plutôt floue.
Frappant plus le bloc populaire que le bloc élitaire et montrant avec quelle facilité s’établissent déjà s procédures de contrôle (y compris le contrôle idéologique avec la loi Avia), l’épidémie a exaspéré ceux qui sont déjà exaspérés. Mais pour le moment on ne voit pas vraiment bouger les lignes de l’hégémonie idéologique.
Le pouvoir macronien, accusé d’impéritie et de contradictions, n’ayant guère démontré le pragmatisme et l’efficacité qui étaient censés le caractériser, doit s’attendre à d’effroyables difficultés. Il a sans doute soulevé un ressentiment que l’on mesure mal et beaucoup moins bénéficié du réflexe légitimiste que d’autres gouvernements européens. Mais il n’est pas désarmé, notamment dans la perspective d’un gouvernement d’union nationale. Il jouerait alors de l’argument de l’urgence et de l’absence d’alternative face à une opposition divisée.
Le discours en forme de demi-aveu serait alors : il aurait fallu plus de gouvernance, de solidarité et de prévoyance, nous allons corriger cela avec une économie plus humaine et raisonnée, nous allons réformer l’Europe, c’est une chance pour le multilatéralisme, ce sera une nouvelle ère du nouveau monde, remettons l’humain au premier plan, verdissons la croissance raisonnable, réinventions-nous, coopérons, mais renforçons l’État qui protège et les valeurs républicaines… C’est du syncrétisme en langue de coton, mais c’est surtout le signe que nous sommes rentrés dans une guerre de positions idéologique.
⁃ le capitalisme néolibéral a saigné le service public, accentué les inégalités sociales, il faut plus d’État Providence… propos plutôt de gauche ;
⁃ il faudrait revenir à la souveraineté, à l’État stratège, il faut la relocalisation, l’autonomie économique et stratégique, limiter le pouvoir de l’UE incapable… langage de droite populiste ;
⁃ le productivisme est la source de nos maux, l’absurde course au mouvement et à la consommation détruit l’environnement. La Nature nous envoie un avertissement. Argumentaire écologique.
Il est évident qu’il ne s’agit pas de trois thèses exclusives et que ces problématiques peuvent se combiner. Et se nourrir des critiques qui s’en prennent moins aux principes qu’aux défauts de gestion du gouvernement, à l’inefficacité bureaucratique de l’État français.
Les trois pôles, social, national et écologique vont polariser le débat des prochains mois. Et face à eux un discours ultralibéral, hypermondialiste ou superproductiviste aurait du mal à se faire entendre.
Ce qui ne signifie en aucune manière que l’affaire soit pliée. Pour de multiples raisons.
Notamment que d’autres questions comme la sécurité ou l’immigration, la géopolitique, ou encore la défense des libertés contre la surveillance numérique, thèmes pour le moment occultés, peuvent revenir au premier plan. Et parce que nous ignorons l’ampleur de l’addition économique et des désordres sociaux qui peuvent suivre. On voit s’opposer des réflexes de peur (parti de l’ordre) ou de colère (une révolte prenant le relais de celles des Gilets jaunes). Sans parler de l’hypothèse d’un retour de l’épidémie.
Bref les luttes idéologiques dépendront largement de la dégradation des conditions matérielles et de la virulence des conflits, y compris des désordres dans la rue ou un réveil activiste.
Mais, en restant sur le strict plan plan des idées, qui retirera les bénéfices de la crise, voilà qui est tout sauf clair.
Le discours populistes de gauche a, certes, des arguments en faveur de plus de protection et de redistribution. Mais il a un problème d’incarnation (Mélenchon n’étant pas gagnant à ce jeu), de divisions (notamment sur la question de la souveraineté ou de l’Europe) plus une rhétorique keynésienne égalitaire dirigiste qui ne se renouvelle guère. Ce camp est passablement divisé en dépit d’appels unanimes à inventer le monde d’après. Même mâtiné d’écologisme, le projet de fermer la parenthèse néolibérale peine à se développer.
À cet égard, la scission « de gauche » au sien de LREM est significative : il s’agit d’être « plus » : plus rassembleurs, plus sociaux, plus écolos, plus inventifs. Question de gradation sur une échelle idéologique immuable. Ce pourrait être un symptôme que le pouvoir s’éloigne de sa composante plus branchée, bobo, libertaire pour se droitiser et s’appuyer sur une bourgeoisie plus classique et souvent plus âgée.
Le discours souverainiste de droite trouve des motifs de célébrer les frontières, l’État stratège et de dénoncer le mondialisme quite à négliger provisoirement les thèmes identitaires. Mais il peut être concurrencé auprès des classes populaires par un souverainisme de gauche qui pointe l’oreille. Le RN souvent ramené au rôle d’épouvantail bloque la rage des couches périphériques peu diplômées ne profitant pas de la mondialisation : il remplit la fonction tribunicienne protestataire sans débouchés très clairs pour le moment.
Les idées écologistes triompheront-elles ? Et la peur du réchauffement climatique ou une quelconque collapsologie peut-elle engranger des dividendes de la peur sanitaire ? La réponse dépend du rapport entre peur de la fin du monde et peur de fin du mois.
Pour beaucoup la période du confinement a donné un avant-goût de la sobriété respectueuse de l’environnement que réclament les verts. Et il n’est pas si évident que gens menacés de chômage ou de faillite désirent autre chose que conserver un minimum de niveau de vie. La façon dont s’est exprimé le discours écologique pendant la crise (manifeste de Hulot, ou lutte des peoples contre le consumérisme) n’a guère fait avancer une cause qui reste attractive pour une opinion jeune, urbaine, diplômée, mobile, mais dont la traduction politique est plutôt floue.
Frappant plus le bloc populaire que le bloc élitaire et montrant avec quelle facilité s’établissent déjà s procédures de contrôle (y compris le contrôle idéologique avec la loi Avia), l’épidémie a exaspéré ceux qui sont déjà exaspérés. Mais pour le moment on ne voit pas vraiment bouger les lignes de l’hégémonie idéologique.
Le pouvoir macronien, accusé d’impéritie et de contradictions, n’ayant guère démontré le pragmatisme et l’efficacité qui étaient censés le caractériser, doit s’attendre à d’effroyables difficultés. Il a sans doute soulevé un ressentiment que l’on mesure mal et beaucoup moins bénéficié du réflexe légitimiste que d’autres gouvernements européens. Mais il n’est pas désarmé, notamment dans la perspective d’un gouvernement d’union nationale. Il jouerait alors de l’argument de l’urgence et de l’absence d’alternative face à une opposition divisée.
Le discours en forme de demi-aveu serait alors : il aurait fallu plus de gouvernance, de solidarité et de prévoyance, nous allons corriger cela avec une économie plus humaine et raisonnée, nous allons réformer l’Europe, c’est une chance pour le multilatéralisme, ce sera une nouvelle ère du nouveau monde, remettons l’humain au premier plan, verdissons la croissance raisonnable, réinventions-nous, coopérons, mais renforçons l’État qui protège et les valeurs républicaines… C’est du syncrétisme en langue de coton, mais c’est surtout le signe que nous sommes rentrés dans une guerre de positions idéologique.